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"Quand on vous reproche une faute de français, répondez que c'est un latinisme."

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Exercice de style (2)

Rien à voir avec l’orthographe, certes ! Je m’étais lancé le défi, voilà déjà quelques années, d’écrire un pastiche (une parodie ?) de tragédie classique, en alexandrins, avec alternance rime masculine/féminine, césure à l’hémistiche, respect des unités de temps, de lieu et d’action, et tout le tremblement! Celle-ci prend pour thème Héraklès (Héraclès) et le courroux d’une Héra plus vengeresse que jamais. En voici le début, soit quelque 495 vers… Puissent un jour Racine et Corneille me les pardonner !

Héraclès

ACTE I
Scène 1
HERA, METIS

HERA
Eh quoi ! Je souffrirais en taisant mon courroux
De laisser folâtrer mon trop volage époux !
Lui dont déjà les ans ont passé la centaine
S’en irait impuni courir la prétentaine !
Il préférerait donc à mes divins appas      
La grâce et les charmes voués au noir trépas
D’une femme éphémère et fugace mortelle !
Mille fois il soumit à sa loi éternelle
Les dures volontés des hommes et des dieux,
Mille fois son foudre s’abattit sur l’odieux :      
Il détrôna son père et les Titans ses sbires,
En offrant le tonnerre à cent Hécatonchires !
Son bras défit Japet, Prométhée et Atlas ;
Partout de sa victoire on put ouïr l’éclat !
Océan et Thétys, du fond de leur tristesse,      
Durent du roi des dieux éprouver la justesse,
En voyant à jamais leur veule rejeton
Aux chaînes enferré d’une obscure prison !

METIS
Mais, ô reine…

HERA
Tais-toi et me laisse achever,
Car je sens ma fureur contre lui s’élever !      
Je n’en puis souffrir mais de ces constants outrages
Dont le moindre n’est pas sans attiser mes rages !
Il vainquit donc cent bras soulevés contre lui,
Plongea dieux et héros dans un mortel ennui,
Sur l’Olympe neigeux sut asservir ses frères      
En répandant partout ses terribles lumières,
Renvoya Poséidon au plus profond des mers,
Et contraignit Hadès à la nuit des Enfers !
Que valent maintenant ses succès titanesques,
Brillantes victoires  et combats gigantesques,      
Si le roi des dieux, invincible guerrier,
Se peut par un regard vaincre ou humilier
Qui aura su soumettre à son vouloir aimable
De l’inflexible Zeus le cœur inexorable !
Heureuse celle qui, destinée aux Enfers,      
Mortelle, l’Immortel enchaîna dans ses fers !  

METIS
Mais, ô reine…
     
HERA
Tais-toi et me laisse poursuivre !
Je ne puis plus ainsi et le voir et survivre :
Tramant quelque vengeance en mon cœur et mon for,
J’invoque les Furies à venir en renfort      
Pour prêter à mon ire une main vengeresse !
Ainsi ses rejetons — Artémis chasseresse,
Qui de mille et un traits abattit Callisto ;
Phoibos Apollon qui, dans son berceau bien tôt,
Tua l’ignoble Python de ses mains puériles ;      
Et Hermès Trismégiste aux sandales agiles,
Qui apporte aux humains du grand Zeus les édits;
Même Athéna, ta fille, aux expédients hardis ! —
Ses rejetons se plient à son vouloir superbe
Et accourent sans doute à son plus humble verbe !     

METIS
Oui, las ! Le cœur de Zeus s’éprend de trop d’objets,
Qui fait du roi des dieux le plus vil des sujets !
Il prétend gouverner et l’Olympe et le monde,
Mais ne peut gouverner sa dilection immonde !
Sans partage régnant sur l’empire plus grand,      
À l’empire des sens se soumet le tyran,
Qui souffre de l’amour quelque tourment coupable,
Impitoyable dieu au destin pitoyable !
Au ciel comme sur terre en tous combats vainqueur,
Dans la guerre amoureuse il abdique son cœur.     
Si habile à ourdir d’audacieux subterfuges
Pour abattre sur nous ses terrifiants déluges,
Trop prompt à supplicier un rejeton rétif
Qu’il envoie dans l’Hadès d’un œil vindicatif,
Près des rives d’un fleuve aux ondes argentines     
Où croissent sans effort mille pommes divines,
Se dérobant toujours à sa soif et sa faim
– Las ! las ! pauvre Tantale au martyre sans fin –,
Au sein du Tartare Zeus veut voir Prométhée
Offrant son foie sanglant à l’aigle redoutée !      
Et contre moi jadis, grosse d’un futur Zeus,
A-t-il pas inventé quelque artifice odieux ?
Par la métamorphose endormant tous mes doutes,
Il me contraignit lors à me changer en goutte,
Puis sans hésitation d’un seul coup m’avala,      
Avant que ne naquît de son crâne Athéna !
Du fier prince des dieux sont-ce là les audaces,
Que d’user de roueries si perfides et basses ?

HERA
Je sais cela, Métis, et quels sont ses désirs,
Mais il faudra bientôt qu’il renonce aux plaisirs.     
Çà ! son inconduite ne peut être impunie.
Il doit payer le prix de trop de vilenie.
C’est assez. Laisse-moi, va me quérir Hermès,
Car je lui veux parler de l’Alcide Héraclès.

Scène 2
HERA, HERMES

HERMES
Tu me mandas, reine ?

HERA
Si fait, pour quelque affaire    
À laquelle est mêlé le noble Zeus, ton père.

HERMES
Parle sans crainte, Héra, en confiance et nûment.
J’orrai docilement ton divin argument.
Et si je te puis être en quelque affaire utile,
Je saurai te prêter mon concours plus agile.      

HERA, à part soi
Je me dois défier de ce dieu astucieux.
N’oublions point qu’il est le fils du roi des cieux
Et d’une Pléiade, qu’Atlas est son grand-père
Et qu’en ruse et cautèle il est à son affaire.

HERMES, à part soi
De ma marâtre il faut assez tôt me garder.      
D’un courroux furieux elle se veut farder,
Pourtant son vrai visage est celui de la ruse :
On la croit éperdue ; elle trompe et abuse !

HERA
Hermès Trismégiste, plus vif que les zéphyrs,
Seras-tu à même d’exaucer mes désirs ?      

HERMES
Tes désirs n’allant point contre la loi divine, 
À ton divin vouloir il siéra que j’incline,
Car nul être vivant, immortel ni humain,
Ne se saurait soustraire aux édits du Destin.

HERA
Entends donc un petit ce que je te veux dire      
Et considère enfin si ce que je désire
Est digne d’attention et de ton intérêt.
Vois donc, Hermès, l’état où mon époux me met.
De ses embrasements pour quelque sublunaire
Je suis depuis beau temps certes fort coutumière.     
Mais son ultime outrage, entre tous plus flagrant,
Donne trop de matière à mon ressentiment.
Je vis maints rejetons, fruits de ses adultères,
Naître et croître et mourir dessus la vaste Terre.
Je vis le sang de Zeus accomplir mille exploits,     
Puis de mille forfaits outrepasser nos lois,
Oubliant que celui qui demi-dieu se nomme
N’a de dieu que le nom, mais qu’ailleurs il est homme !
Tous ces fiers-à-bras de leurs lauriers imbus,
Je les vis un à un de leur gloire déchus :      
L’enfant de Danaé, grâce à ta noble ruse,
Fut sans peine vainqueur du regard de Méduse,
Puis s’en vint obéir aux édits de Phébos
Et d’un disque fatal tuer le roi d’Argos.
Le Péléide Achille, guerrier invincible,       125
Des caprices divins se vit bientôt la cible :
Quelque trait habile décoché par Pâris
Emporta dans l’Hadès le cher fils de Thétis…

HERMES, à part soi
Ma foi, il semble fort que cette Héra radote,
Ou bien est-ce à dessein qu’elle joue l’idiote ?     

HERA
Ores cette fois-ci, Zeus est allé trop loin.      
D’éprouver ma patience il emploie trop de soin,
Et je lui veux montrer sans délai ni faiblesse
Combien la déesse qu’il trahit et qu’il blesse
A d’ardeur et de cœur à réparer l’affront      
Pour laver la honte qu’elle porte à son front.
Ô Furies, prêtez-moi votre concours sans faille
Et puisse votre bras vengeur dans la bataille
Seconder mes desseins ; et toi, rusé Hermès,
Daigne favoriser mon plan contre Héraclès !      

HERMES
Tu sais l’amour filial que je te porte, ô reine,
Et combien ses écarts m’abîment dans la gêne.
Mais enfin mon père demeure roi des dieux,
Il s’y faut soumettre, le trouvât-on odieux,
Obéir à ses lois, fussent-elles injustes,      
Et souffrir ses forfaits, fussent-ils les plus frustes !
Coupable, le grand Zeus n’est point un criminel :
Il reste simplement le plus noble immortel.
C’est là, ô ma reine, l’apanage des rois
Que d’échapper toujours à leurs sévères lois.      

HERA
Du moins c’est leur devoir de se toujours soumettre
Aux édits par lesquels ils sont d’autrui le maître.
Et s’il en est un seul que Zeus doit respecter,
C’est celui de l’hymen qu’il voulut contracter.
Enfin je m’y pliai, et malgré que j’en eusse,      
À l’autel j’abdiquai, quoi que de lui je susse.

HERMES
Même aux lois de l’hymen Zeus ne se peut plier.

HERA
Il pliera ou rompra, tu le peux parier.

HERMES
Zeus ne plie ni ne rompt ; c’est là chose impossible.

HERA
C’est qu’il ignore tout de mon ire terrible.      

HERMES
Son courroux l’est-il moins à qui va contre soi ?

HERA
Ni la mienne vengeance à qui s’oppose à moi ?

HERMES
Révères-tu donc pas de Zeus la loi innée ?

HERA
Révérera-t-il donc celle de l’hyménée ?

HERMES
Je vois qu’à ta raison il est vain de parler.      

HERA
Il n’est plus de raison quand on la veut violer.

HERMES
Mais enfin, ô reine, daigneras-tu me dire
Ce que mon père fit pour causer pareille ire ?

HERA
Je cuide que tu sais son ultime forfait
Et quel est de ses soins le tout récent objet :      
Le voilà donc épris de la mortelle Alcmène
Que bientôt dans sa couche avec zèle il emmène.
Mais, las ! ce n’est point tout.

HERMES
Quoi ! Que fit-il en sus ?

HERA
Ne se repaissant point d’hymens par lui déçus,
À l’inconduite il joint l’ignoble fourberie,      
Jouant d’Amphitryon le captieux sosie !
La mortelle déçue, croyant voir son époux,
S’abandonne sans crainte aux baisers les plus doux.

HERMES
Quelle ruse accomplie !

HERA
 Que d’infinie rouerie !
Il méprise et honnit une épouse marrie !      

HERMES
De combien d’expédients mon père fait-il montre !

HERA
Il sied aux gens de bien de s’emporter là contre
Et de montrer qu’un roi doit obéir aux lois
Ou n’être qu’un esclave et se soumettre aux rois !
Mais brisons-là, Hermès.

HERMES
 Quoi ! Si Zeus jamais cède…    

HERA
Foin de cela, mon fils ! M’apportes-tu ton aide ?

HERMES
Aux volontés de Zeus je ne puis m’opposer.

HERA
Contre sa licence ne vas-tu rien oser ?

HERMES
Contre les lois d’un père est-il rien de possible ?

HERA
Quand le père est tyran, est-il rien d’admissible ?     
Un père, on doit l’aimer ; un tyran, on le hait.

HERMES
Je n’en ai le pouvoir, en eussé-je le souhait !
Car Zeus d’une main de fer son empire régente
Et n’a pour ses enfants l’âme guère indulgente.

HERA
C’est bien, Trismégiste. Maintenant je le voi :      
Tu n’es donc plus le fils, mais l’esclave d’un roi !
Et puisque tu ne veux, quoi que je fasse ou die,
Me prêter ton secours ni une main amie,
Sache que qui refuse à Héra son concours
S’en fait une ennemie jusqu’à ses derniers jours !     
Seule sur l’Olympe, j’affronterai l’Alcide
Pour épargner à tous l’opprobre déicide !
(Elle sort.)

Scène 3   
HERMES

HERMES
Graves alarmes, las ! où m’abîme ce choix !
Ô de l’esprit divin insoutenables voix,
N’êtes-vous point lasses de crier en mon âme ?     
Zélé ressentiment qu’une effroyable femme
Adore aveuglément dans un trop noir dessein,
Gagneras-tu mon cœur, traître prenant mon sein ?
Un dieu peut-il douter du parti qu’il doit prendre
Et redouter enfin le jugement à rendre ?      
Je ne sais où tourner mon regard éperdu :
Est-ce Héra, trop fière, à qui tout semble dû,
Tyrannique épouse d’un dieu trop tyrannique ?
Ah ! ou bien suivrai-je mon père, roi unique
Des cieux où il étend sa noble volonté,       
Ôtant la vie à l’homme, au dieu sa fierté ?
Redoutable dilemme me jetant dans la gêne…
Eh ! mais l’on vient çà ! Cachons donc notre peine !

Scène 4
HERMES, ZEUS

ZEUS
Qu’est-ce que ce trouble, mon fils, où je te voi ?
 
HERMES
De vous revoir, père, je conçois grand émoi.      
Vous fûtes trop longtemps loin du séjour céleste,
Errant dessus la Terre à combattre la peste
Qui corrompt les hommes et putréfie leur cœur,
Mais dont nul ne douta que vous fussiez vainqueur !
Car l’âme est purifiée par vos foudre et tonnerre,     
Votre lumière embrase et les Cieux et la Terre,
Et nul ne s’y soustrait, qu’il soit vivant ou mort,
Mortel ou immortel, maître ou non de son sort.

ZEUS
Nous devrions rougir, et de nous et des hommes,
De ce qu’ils font pour nous et de ce que nous sommes !    

HERMES
Que vous voilà fort sombre en ce jour bienheureux,
Et je n’entends rien à ces mots désastreux !
Mais que vîtes-vous donc chez cette créature
Pour mépriser si fort la divine nature ?

ZEUS
Je vis mille remparts construits par les humains     
En un jour, une nuit, de leur débiles mains
Désolés et fumants, retournés en poussière,
Formant pour maint cadavre une poudreuse bière.
Je vis la rapière des plus nobles héros
Plus rouge que le fer que bat Héphaïstos,      
Ensanglantée du nom des mânes les plus braves.
Je vis l’homme avide de voluptés suaves
S’abandonner aux bras du belliqueux Arès
Et quitter Aphrodite pour s’éprendre d’Hadès !
Je vis sur l’Achéron, coulant aux Enfers sombres,     
Le funeste nocher mener cortèges d’ombres
Aux rives du Tartare où les suppliciés,
Errent sans fin hagards, les yeux terrifiés.
Je vis enfin les dieux en leur fière demeure,
Ces dieux tout réjouis qu’en leur nom l’homme meure,     
Ces dieux toujours repus de nectar et de fiel,
Et l’âme corrompue des vapeurs d’hydromel,
Ces dieux toujours trop prompts à se chercher querelle,
Race plus rétive que l’engeance mortelle
Aux édits que pour tous justement je prononce,      
Ces dieux pour qui la guerre est l’unique réponse,
Ces dieux insoumis, je les veux tous dompter,
Ou bien avec mon ire il leur faudra compter !
Chacun sait qu’il messied d’attiser trop mon foudre
Et qu’il est des crimes que je ne puis absoudre :     
Aucun de mes édits sur terre n’est haï,
Et il faudrait qu’au ciel j’en visse un seul trahi !
Si l’immortalité fait les dieux que nous sommes,
Leur indocilité les fait moins que des hommes !

HERMES
Cependant, mon père, de toute éternité      
Nous usâmes de l’homme en toute liberté
Et sûmes bien ployer, par de justes supplices,
Ces arrogants mortels à nos moindres caprices !

ZEUS
Aliéner les humains à nos jeux trop odieux,
N’est-ce pas tromper ceux qui font de nous des dieux ?    
Sans le libre arbitre de cette race serve,
C’est notre puissance qui décroît et s’énerve.
Sans leurs sacrifices immolés à l’autel,
Immortels nous mourrons par la main des mortels !

HERMES
Et qui donc les créa si ce n’est notre race ?      

ZEUS
Et qui diantre, fors eux, nous mit en haute place ?
Qui jusqu’à l’empyrée nous exhaussa jadis ?
Qui façonna pour nous un divin paradis
Sur la cime éthérée de l’éternel Olympe,
Où jamais nul humain, fût-il héros, ne grimpe ?     

HERMES
À ce propos, père, je vous dois avertir :
Votre épouse à l’instant s’en vient de sortir,
L’âme et le cœur emplis d’un courroux insatiable
Et le regard ardant d’une haine implacable.

ZEUS
Contre qui cette fois s’exerce sa fureur ?      
Quel homme infortuné excita sa rancœur ?

HERMES
C’est que je ne sais si…

ZEUS
Le nom de la victime,
Je le veux savoir, et quel était son crime.

HERMES
Faut-il réellement…

ZEUS
Enfin, parleras-tu ?

HERMES
Le silence est-il pas une noble vertu ?       

ZEUS
Ni la vérité nue l’obligation suprême
Et de la probité la quintessence même ?

HERMES
Je me dois donc résoudre à ne vous rien celer…

ZEUS
En tant que fils et dieu, tu dois tout révéler.

HERMES
Soit.

ZEUS
Eh bien ?

HERMES
Voici donc.

ZEUS
 Oui ?

HERMES
 C’est grand déplaisir…    

ZEUS
Vas-tu longtemps encor surseoir et tout taisir ?
À tout m’avouer enfin te vas-tu pas résoudre,
Ou veux-tu éprouver et mon ire et mon foudre ?

HERMES
C’est Héraclès.

ZEUS
Quoi donc !

HERMES
 Oui, l’Alcide Héraclès,
C’est lui qu’Héra veut voir supplicié dans l’Hadès.     

ZEUS
Las ! Perfidie ultime ! Âme noire et jalouse,
Qui corrompt les pensers d’une turpide épouse !
Fantasmes d’un esprit nourri de songes creux,
Qui contristant le cœur le faites malheureux,
Laissez s’éteindre enfin ce vœu que je renie,      
Avec lui s’éteignant d’Héra la vilenie.
Donnez quelque répit à ses emportements
Que je puisse empêcher ses furieux errements !
Ô vous, les Erinyes, promptes à l’inclémence,
Abdiquez vos desseins de cruelle vengeance !      
Et vous, les trois Moires qui déroulez les fils
De la vie des hommes, épargnez donc mon fils !
Epargnez Héraclès, son âme et son courage,
Renonçant à combler d’Héra l’odieuse rage.
Va, Hermès, hâte-toi et porte sans tarder,      
Pour que, laissant Héra, elles daignent m’aider,
Ce message avec zèle aux Furies et aux Moires ;
Si puissantes qu’elles soient, qu’elles aient en mémoire
Que le pouvoir de Zeus ne se partage pas :
Qui marche contre lui, marche droit au trépas !     

HERMES
Ainsi sera-t-il fait. Chaussé de mes sandales,
J’apporte promptement vos paroles royales.
(Ils sortent.)

 
ACTE II

Scène 1
HERMES, CLOTHO, LACHESIS, ATROPOS

HERMES
Oui, tels furent les mots de notre père à tous,
Qui voit tout et sait tout.

CLOTHO
J’entends. Mais quant à nous,
En quoi du roi des dieux cet édit nous concerne ?     
Les Moires n’ont point part à votre guerre interne,
Mais mènent les hommes de la vie à la mort.

LACHESIS
Je dépars aux mortels un doux ou triste Sort.
Pour tout homme j’élis un destin sans conteste,
Que Clotho va filant sur sa quenouille preste,      
Et dont tranche Atropos le fil impartial.

ATROPOS
Nous n’avons donc cure de votre édit royal
Et préférons ouvrer au labeur immuable
Dont nous échut jadis le faix inexorable.
Zeus eut en partage le royaume des cieux,      
Qu’aux Moires il laisse leur travail disgracieux.

CLOTHO
À Zeus, des Immortels le céleste royaume ;
À nous, l’empire humain des terrestres fantômes !

ATROPOS
Clotho, tu dis très vrai. Le destin d’Héraclès
Ne dépend plus de Zeus, tu lui peux dire, Hermès.     
Ses lois non écrites n’ont sur nous nulle emprise :
C’est en vain qu’il appuie sur nous son entreprise.

HERMES
Ainsi donc vous déniez à Zeus votre soutien ?

LACHESIS
À notre dur ouvrage apporte-t-il le sien ?

HERMES
Vous refuserez donc de vous jamais soumettre ?     

ATROPOS
Fil, quenouille et ciseaux sont notre unique maître.

HERMES
Refusant d’aider Zeus, vous secondez Héra.

LACHESIS
Jamais à aucun dieu notre secours n’ira.

CLOTHO
Nous restons entre nous, ne prodiguant nulle aide.

ATROPOS
Et c’est en vain qu’un dieu pour quelque autre intercède.    

LACHESIS
Le lot d’Héraclès est celui que j’ai élu.

CLOTHO
Je déroule son fil tant que j’aurai voulu.

ATROPOS
Et je le trancherai à l’heure décidée.

HERMES
Il n’est donc rien qui pût infléchir cette idée ?

CLOTHO
Ni le foudre de Zeus, ni les courroux d’Héra      
N’y pourra rien changer : qui doit être sera.

HERMES
De ce refus tantôt j’avertirai mon père.

ATROPOS
Qu’il en soit prévenu : nous n’en faisons mystère.

(Les Moires sortent.)

Scène 2
HERMES

HERMES
Voilà donc la grandeur des rois, de leur destin !
Voilà toute l’ampleur de leur pouvoir hautain !      
Tel qui croit dominer les choses et les êtres
Ne laisse d’être esclave et d’avoir d’autres maîtres :
Celui dont nulle épée ne transperça le cœur,
Que ne navra jamais le fer cent fois vainqueur,
Qui ne subit jamais des chaînes les brûlures,      
Celui-là sait dans son cœur d’autres feux et morsures !
La chair que n’entama jamais aucune lame,
Un regard la blesse jusques au fond de l’âme !
L’arme véritable qui fait les cœurs mourir,
Ce ne sont point l’épée dont on nous veut férir,     
La lance ni la flèche aiguë et meurtrière ;
Non, le trait le plus dur à ravir la lumière
C’est une œillade douce, un regard caressant !
Aucun feu plus ardent à embraser nos sens
Qu’une chiche lueur au fond d’une prunelle !      
Quelle divinité puissante et éternelle
Pourra jamais prétendre à quelque liberté,
Quand une simple amour, abdiquant sa fierté,
Peut l’enchaîner à soi, victorieuse guerrière ?
Ses désirs sont sa cage, et l’amour sa geôlière.     
Quel roi, quel dieu, quel Zeus peut régir l’univers,
Commander aux cieux, maîtriser les Enfers,
Tout en emprisonnant et son cœur et son âme
Dans le simple souris d’une captieuse femme ?
Quel est ce royaume, qui tient dans une main,      
Mais surpasse en grandeur l’immense empire humain ?
Se peut-il concevoir si vaste puissance
Sans combats guerriers ni martiale violence ?
Ainsi Aphrodite l’emporte sur Arès
Et Zeus cède au Destin à cause d’Héraclès !       
Mais que vois-je céans ? N’est-ce point ma marâtre,
Qui vient accompagnée des Furies acariâtres ?
Vite, cachons-nous çà ; demeurons silencieux.
Leur commun entretien pourrait m’être précieux.

Scène 3
HERMES, HERA, TISIPHONE, MEGERE, ALECTO

HERA
Que si mon ire est noble et ma vengeance juste,     
Daignez armer mon bras, Furies, triade auguste ;
Secondant mon dessein, harcelez Héraclès
Et l’envoyez enfin aux tourments de l’Hadès !
Je vous sais toutes trois en expédients fertiles,
Prêtes à inventer quelques ruses subtiles      
Afin que de punir ce mortel arrogant !

MEGERE
Oui, Héra. Maintes fois ourdissant, intriguant,
Tu nous vis appuyer tes desseins les plus sombres,
Jetant le sang de Zeus au royaume des ombres.
Celui-ci, toutefois, âpre à ne mourir pas,      
Trop rebelle à nos tours, ignore le trépas.
Sais-tu qu’il échappa au dernier artifice
Que nous avions tramé pour son plus grand supplice ?

HERA
Nenni, mais je veux ouïr tout votre stratagème,
Qu’on m’enseigne donc la machine suprême !      

TISIPHONE
Voici donc l’affaire. Tu nous mandas jadis
Afin de voir châtier l’humain que tu maudis.
Fomentant la perte de cette ignoble engeance
Nous nourrîmes sans frein ton désir de vengeance,
Retournant contre elle sa plus grande vertu.      
Héraclès en effet, par son amour vaincu,
Épousa Mégarée, la princesse thébaine,
Ignorant que pour nous l’union ne fût point vaine !
Car sitôt que la reine eut trois fois enfanté —
Tous nobles rejetons de robuste santé —,      
Au cœur pur d’Héraclès nous mîmes la folie,
Semant autour de lui deuil et mélancolie.
Tout soudain envahi d’implacable fureur,
Voilà notre héros face aux cris et aux pleurs,
Aveuglé de haine pour sa race et sa femme,                                                             
Son cœur ne voyant plus qu’hostilité infâme
Et ses yeux abusés par un insane courroux,
Il saisit Mégarée implorant à genoux
Et emmène ses fils à la lumière crue,
Afin que ruisselât leur sang sur sa massue !      

ALECTO
Force et puissance sauraient-elles compter,
Si un esprit juste ne les sait point dompter ?
La plus farouche armée n’est rien sans son stratège,
Sans Zeus les Dieux ne sont que risible cortège.
C’est folie de croire que la Force peut tout :      
Car Sagesse ou Folie en vient toujours à bout
Et tel qui croit son bras armé par la première,
Tout entier s’abandonne à son ire guerrière.
C’est ainsi qu’Héraclès, de démence éperdu,
À la folie paya le plus funeste dû.       
Aveugle, le bras fier de sa force terrible,
Il crut pouvoir braver la furie invincible !

HERA
Vous le vainquîtes donc ?

MEGERE
N’eût été ton mari,
Ton désir de vengeance eût été assouvi !

HERA
Las ! il préfère donc sa vile descendance      
Aux lois que commandent les dieux et la décence !

TISIPHONE
Du moins se soucia-t-il du salut d’Héraclès,
Qui dut à son père d’échapper à l’Hadès !

HERA
Est-il jamais repu d’adultères coupables ?
Est-il jamais ému par mes vœux pitoyables ?      
Tant de si bas forfaits accomplis contre moi
Sauraient-ils rehausser la couronne d’un roi ?
Sont-ce là l’orichalque et les précieuses gemmes
Que m’offre le Chronide en guise de diadème ?
Son épouse déçue, clémente mille fois,      
Mille fois outragée, fit donc ce qu’elle doit :
Secondée dans mes vœux de vos mains très habiles,
Je me pus venger lors de ses amours serviles !

ALECTO
Certes l’insane Alcide eut pour plus grand tourment
D’une épouse trompée le vif ressentiment.      
Il lui fallut souffrir l’ire d’une déesse
Et des hommes enfin éprouver la faiblesse.
Son âme cependant ne manquant point de cœur
Lui apporta, vaincu, les honneurs du vainqueur
Et l’on vit tout l’Olympe éperdu de tristesse      
Au mortel prodiguer mille soins de tendresse !
Et Zeus – le très grand Zeus – de tous le plus puissant
Pour sa furieuse engeance eût versé tout son sang !
Si bien que secondé par cent dieux secourables,
Le héros Héraclès aux méfaits haïssables      
Sut ployer à ses vœux l’aréopage entier
De ceux qui jadis le voulurent châtier !

HERA
Ainsi ma vengeance…

MEGERE
         Fit long feu, sans nul doute.
Les lois de votre époux doivent coûte que coûte
Ne souffrir chez aucun conteste ni délai.      

HERA
En vertu du pacte qu’avec vous je scellai,
Vous promîtes pourtant votre aide sans faiblesse !

MEGERE
Or vous l’eûtes, ô Reine, et combien vengeresse !

HERA
Certes, nobles Furies. Mais l’ai-je derechef,
Ou me laisserez-vous à mon juste grief,      
Dédaignant d’assouvir ma rancœur légitime,
Soutenant le bourreau qui abat sa victime ?

TISIPHONE
Notre aide t’est acquise à tout jamais, Héra :
S’il doit être châtié, l’Alcide le sera.

HERA
Cette engeance impure, fruit d’une union déçue,     
Je la veux voir défaite, humiliée et vaincue,
Terrassée à jamais, âme errant en l’Hadès !
Mais ores dites-moi ce que pour Héraclès
Votre habile industrie ourdit comme vengeance.

HERMES, à part soi
Il est temps pour moi d’ouïr sans négligence      
Le plan que ces Furies vont dans l’ombre tramer
Et d’entendre un petit d’Héra le cœur amer,
Afin d’en avertir tout à l’heure mon père.
Mais voilà s’avançant l’effroyable Mégère !

MEGERE
Entends donc, ô Reine, ce que mes sœurs et moi     
Machinâmes dans l’ombre à l’insu de Zeus roi.

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